Après avoir passé quelques jours sur l’île de Pulau Weh à récupérer du voyage et du décalage horaire, nous voici en route vers notre seconde étape : Ketambe. Au programme, une immersion de plusieurs jours dans la jungle.
J6 à J8 – De la mer à la jungle – Périple à travers Sumatra
Le trajet en tuk-tuk commençait bien. On a bien rigolé avec notre chauffeur engoncé dans son imper bleu. Montées. Descentes. C’était les montagnes russes. 45 mins. Le Fast Ferry, c’est une chambre froide, pas question de rester là-dedans. On trouve un banc à l’extérieur, à l’arrière du bateau et pendant les 45 mins de la traversée, on fait office de bêtes de foire.
Evan, notre chauffeur pour l’après-midi, nous récupère au port à 15h30. Le bus est à 19h ou 20h, il ne sait pas trop. Il nous emmène faire un tour de la ville de Bandah Aceh, tristement célèbre à cause du tsunami qui l’a ravagée en 2004. Toute sa famille y a survécu mais il a tout perdu. Il nous montre les monuments qui symbolisent la montée des eaux, les bâtiments encore debout, les épaves de bateau échouées et laissées en pleine ville, en souvenir. Nous en visitons une sous la pluie mais ce n’est pas très gai. L’eau a atteint 3 mètres en centre ville, la plupart des habitants sont morts car ils avaient fui les bâtiments pendant le tremblement de terre. Il nous montre les nouvelles alarmes et tours de secours qui ont été depuis mises en place. D’après lui, le tsunami a finalement eu une « bonne » influence sur la région d’Aceh. Il leur a permis de faire la paix et d’arrêter de se battre pour l’indépendance.
Ce petit tour de la ville nous coûte tout de même 200 000 Rps… Il n’avait pas précisé que c’était payant 🙄 On attend près de deux heures, seuls, à la gare routière, sous les regards insistants qui ne nous mettent pas très à l’aise.
Le bus de nuit part à 20h15. Il est magnifique, super confortable, bref, une belle surprise. Il possède une grille recouvrant le pare-brise car à Medan (3ème ville du pays et capitale de Sumatra), des petits voyous ont l’habitude de caillasser les bus pour les voler. Réjouissant. « Medan, dangerous city, dangerous people », dixit Eva. Le bus aussi, c’est une chambre froide. Heureusement, on a à disposition un gros plaid et un coussin Hello Kitty. Les sièges, gros avantages, sont très conforts ! La nuit n’est pourtant pas des plus calmes. Non seulement la conduite brutale du chauffeur me rend malade, mais en plus la clim me pleut dessus toute la nuit, si bien que toutes mes affaires finissent trempées ! Nice… Arrivée à 6h à Medan, après 10 heures de bus.
On ne le sait pas encore, mais on va vivre la pire journée de notre voyage (enfin, on espère).
Medan, c’est une ville où à peine arrivés, on a déjà envie de repartir. C’est la jungle, mais pas celle qu’on recherche ! On a tellement hâte de partir qu’on donne notre accord à la première compagnie trouvée sur le bord de la route qui accepte de nous amener jusqu’à Ketambe, même si c’est plus cher que prévu.
Le trajet dure 7 heures et c’est un enfer. Pourtant, on s’est payé le luxe d’une voiture privative… C’est in-ter-mi-na-ble. La musique hurle dans l’habitacle, on espère que ce ne sera pas comme ça pendant tout le trajet, mais si, même si on lui demande à plusieurs reprises de baisser le son. Le chauffeur, c’est un pompier. Il fume les 20 cigarettes de son paquet pendant le trajet. Une infection, on en est malades… Il s’arrête constamment sur le bord de la route pour faire on ne sait quoi et surtout, il jette TOUT par la fenêtre, cigarettes, mouchoirs, emballages et bouteilles d’eau. Insupportable. On est au bout du rouleau !
On arrive à notre guesthouse épuisés. C’est un vrai havre de paix au milieu de la jungle, après l’enfer du trajet. C’est calme !!! Vert. Silencieux. Reposant. Parfait. Et il n’y a que nous ! À 22 heures, après une douche glacée dans notre belle salle de bain à toit ouvert et remplie de fougères et un bon repas, on s’endort. Pour cette nuit, on partage notre cabanon avec une énooooorme sauterelle.
La journée du lendemain, RAS. Journée repos, repos, repos. C’est tellement bon. Demain, enfin, on part dans la jungle. La vraie !
NB - Ketambe vs Bukit Lawang : il existe deux endroits sur Sumatra où il reste des orangs-outans sauvages : Bukit Lawang au nord et la jungle autour de Ketambe plus au sud. Nous avions initialement prévu de nous rendre à Bukit Lawang mais avons changé d'avis suite aux avis négatifs que nous avons lus et entendus sur cet endroit. Il semblerait en effet que le lieu soit devenu hautement touristique. Des guides peu scrupuleux donnent à manger aux orangs-outans pour les attirer au plus près des touristes, ils sont donc plus ou moins apprivoisés et ont perdu leurs instincts naturels. Ils sont également devenus agressifs, ce qui obligent les guides à se balader avec des bâtons pour les repousser. Nous n'avons pas voulu soutenir ce type de tourisme, c'est pourquoi notre choix s'est porté sur Ketambe, un village très excentré et difficile d'accès (et donc peu touristique) où les orangs-outans vivent en totale liberté et sont totalement sauvages. Nous ne sommes d'ailleurs pas sûrs d'en voir, mais c'est un « risque » que nous avons accepté de prendre.
J9 à J11 – Ketambe – Au cœur de la jungle de Sumatra
La jungle, c’est calme, paisible, silencieux. On s’attend à plein de bruits, plein d’insectes, plein de vie mais en réalité, c’est juste calme. Très calme. Quand on quitte la route pour s’enfoncer dans la jungle, on est immédiatement frappés par le silence des lieux. On se met automatiquement à chuchoter car on ne veut pas briser la quiétude ambiante. Il y a une atmosphère. C’est vert, très vert et humide, mouillé même. Le regard porte loin et haut, où que l’on observe. Il y a toujours 1000 choses à voir, partout.
Notre guide s’appelle Saïd. Il a 28 ans, il est né et a grandi ici, à Ketambe. La jungle, c’est chez lui, c’est sa maison. Il n’aime pas les guides opportunistes qui viennent de la ville pour faire du business sans avoir aucun respect pour la jungle. Il n’aime pas les déchets qui traînent sur le bord de la route et ceux qui sont laissés aux camps par des guides négligents. Il n’en laissera pas un seul de toute notre excursion, pas même un mégot de cigarette. On l’admire pour cela : les indonésiens ne sont donc pas tous inconscients… Il n’aime pas les chinois et les russes qui viennent jusqu’ici uniquement pour chasser et tuer les tigres et ramener leur cadavre comme un trophée. Ni ceux qui viennent tuer les mères orangs-outans pour ramener leur bébé chez eux et en faire des animaux de compagnie.
Il en parle et on le sent révolté, ému. Nous, on a les larmes aux yeux d’apprendre que ce genre de pratiques se fait encore malgré le danger d’extinction qui pèse sur ces espèces en danger. Il n’aime pas non plus les rangers qui sont là uniquement pour récupérer les droits d’entrée au parc mais qu’on ne croise jamais dans la jungle. En un mot, Saïd, on l’aime et on l’admire immédiatement. C’était un impératif pour nous d’avoir un guide respectueux de l’environnement et des animaux et on n’aurait pas pu mieux tomber.
Quand il marche dans la jungle, il est à l’affût du moindre bruit. Il marche le nez en l’air, l’œil vigilent, tous les sens en alerte, attentif au moindre bruit, au moindre frémissement, là où on a les yeux rivés sur nos chaussures pour ne pas tomber. Les orangs-outans, il ne fait pas que les voir, il les sent. Oui, oui. « I smell something ». On le croit sur parole. Bien sûr, ses chaussures à lui ne font pas de bruit quand il marche, alors que les nôtres font un vieux bruit spongieux. Il bondit, le pas conquérant, je m’accroche au moindre tronc, à la moindre liane pour ne pas glisser. Il ne s’essouffle jamais, il ne transpire pas et bien sûr, il ne glisse pas. Un vrai guide.
On est partis depuis déjà 2 heures et on est bien enfoncés dans la jungle lorsque j’ai une illumination ! Nous sommes le 26 septembre ! Bon anniversaire 🥳😘! Eh oui, aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Rémi et monsieur s’est bien gardé de me le rappeler !!
Durant cette matinée de marche, on voit des animaux non identifiés, un écureuil, un oiseau (peut-être un toucan) et des sangsues. Beaucoup de sangsues… Il faut les « décoller » rapidement sinon elles laissent de vilains points rouges sur la peau… On voit également de magnifiques arbres ! Énormes, vieux, aux troncs noueux et parfois multiples. La jungle est magnifique.
On arrive au camp après 3 heures de marche, peut-être moins. Il se trouve près de la rivière, il y a déjà deux autres groupes installés et notre porteur est déjà là. On s’installe dans une « tente » faite de bâches en plastique superposées. On se baigne à la rivière – on trouve plusieurs sangsues dans nos chaussettes en les retirant – et on a droit à un super premier repas !
Notre porteur, dont on ne se souvient plus le nom, est en formation. Il a 18 ans et il apprend l’anglais. Il a un petit calepin sur lequel il note tous les nouveaux mots. Pour l’instant, il apprend à cuisiner. Saïd lui apprend à bien présenter le nasi goreng (le fameux riz frit indonésien dont on a fait une overdose l’an dernier) et à bien cuire les pancakes. D’ici deux ans, il pourra devenir guide à son tour. En attendant, il porte le matos d’un camp à l’autre.
Après mangé, il pleut. On se réfugie sous la tente et on enchaîne les parties de Uno tous les quatre. Au bout d’une heure, la pluie se calme, on s’équipe et on part. On marche pendant une heure sous une pluie fine, jusqu’au sommet d’une colline. Les orangs-outans n’aiment pas la pluie. Ils rentrent directement se mettre à l’abri dans leurs nids, on a donc peu de chance d’en croiser. Et pourtant…
En tournant la tête sur le sentier, je crois halluciner en apercevant deux orangs-outans qui nous regardent tranquillement passer depuis leur branche. Je crie (mais pas trop fort, hein), tout le monde s’arrête. Après vérification, il y en a trois : papa, maman et un bébé de 6 mois environ. La mère crie et grogne car, d’après Saïd, elle n’est pas contente de s’être fait surprendre par la pluie (Saïd parle l’orang-outan). Tous les trois nous observent pendant qu’on tourne autour d’eux à la recherche du meilleur spot pour les apercevoir, mais ce n’est pas pratique dans la végétation dense. Il faut trouver LE trou parmi les branches et les feuillages. Et il ne faut pas se mettre directement sous l’arbre où ils se trouvent car ils ont tendance à laisser tomber des branches ou à uriner (ou pire) sur la tête des gens qui viennent juste en-dessous. On reste près d’une heure à les observer avant qu’ils ne finissent par s’en aller. On est trop heureux !! 😍
Il pleut toute la soirée. On mange tous les quatre sous la tente à la lueur des chandelles avant de passer la soirée à jouer au Uno et à faire de la magie. Le pipi du soir, dans le silence et la noirceur de la jungle est un brin angoissant. Un tigre est-il tapi pas loin, prêt à me sauter dessus ? Je dors toute la nuit comme un bébé malgré le sol dur et c’est Rémi qui me réveille le lendemain matin à 8h.
Petit déj’ typique : banana et pineapple pancakes ! On repart ensuite directement dans la jungle à la recherche d’orangs-outans. On monte, on monte. On escalade un tronc d’arbre creux. Super vue d’en haut ! On fait tarzan sur une liane ! Enfin Saïd ressemble à Tarzan ! Nous… on fait ce qu’on peut xD
C’est au fond d’une vallée qu’on croise notre premier orang-outan de la journée ! Un gros mâle bien dodu perché tout en haut d’un immense arbre. Il faut se tordre le cou pour l’apercevoir. D’après Saïd, il a environ 40 ans. Il est sagement assis et se verra qualifier de « lazy » parce qu’il ne daignera pas bouger d’un pouce pendant toute l’heure que nous passerons à l’observer. Rien d’autre ne l’intéresse que manger tout ce qui se trouve à sa portée. On entend d’ailleurs régulièrement les craquements des coques de fruit et des branches qu’il laisse négligemment tomber. On tourne autour de son arbre pour l’apercevoir sous tous les angles. À un moment, un deuxième mâle, plus jeune, s’approche, ce qui le fera grogner dangereusement.
En fin de matinée, on voit une jeune femelle dynamique qui, elle, est très active. Elle saute d’arbre en arbre avec agilité, grimpe, redescend, se suspend à des lianes, se balance. On adore !
À midi, on retourne manger au camp, près de la rivière. Il ne fait toujours pas très beau mais il ne pleut pas. Inspection et retirage des sangsues ! On commence à prendre nos marques. Après mangé, on remballe nos affaires et on part pour le deuxième camp. Dès le début, au moment de traverser la rivière, je glisse et tombe à l’eau, le sac avec… La marche est courte mais intense. Saïd trace la route et on a peine à le suivre. Il nous fait traverser la rivière sur un tronc d’arbre, par-dessus des rapides déchaînés. Lui le fait debout, easy, nous… Nos techniques le font bien rire.
L’odeur de souffre nous indique qu’on approche du camp, situé près de sources chaudes volcaniques.
À peine arrivés, on plonge direct dans les hot springs. Il s’agit en réalité d’une rivière (toujours la même) qui passe près de sources chaudes. Plus on se rapproche de la source, plus l’eau est chaude : elle est chaude dans la “piscine” naturelle du bas , brûlante dans celle du milieu , bouillante dans celle du haut . Et en dehors des piscines… elle est gelée ! Notre porteur, très adroit, traverse la rivière, dont le courant est quand même fort, pour nous apporter sur un plateau notre thé et café. Trop sympa ! On patauge là jusqu’à ce que nos doigts soient tout fripés. Malheur ! Pour retourner au camp, il faut retraverser la rivière gelée !
La soirée se passe tranquillement. Le bruit du courant est fort, des volutes de fumée s’élèvent dans l’air, l’endroit est magnifique. Le repas est encore délicieux (des frites, en pleine jungle !!) et on passe la soirée à jouer au jeu des petits chevaux sur le téléphone de Saïd. La deuxième nuit est plus difficile que la première, on a mal partout !
Réveil à 7h. À peine sortis du lit, on court se plonger dans les sources chaudes. Comme la veille, on a droit à notre thé et café directement dans le bain. On se sent comme des pachas, à tel point qu’on en est gênés. Après le petit déj’ pancakes, escapade jusqu’à la chute d’eau. Ça monte, ça monte, ça monte, puis ça redescend. On croise quelques singes Thomas Leaf. Saïd trace, comme d’hab’ et nous, derrière, on glisse. Je marche la tête en l’air, scrutant la canopée à la recherche d’un singe. On traverse la rivière où je fais une belle cascade ! Plus de peur que de mal. La cascade (pas la mienne, la chute d’eau) est haute et belle, on l’admire depuis le haut d’un rocher.
On retourne au camp pour midi. Comme d’habitude, notre porteur s’est surpassé. C’est impressionnant de voir ce qu’il est capable de cuisiner au milieu de nulle part, avec trois fois rien. Aux sources chaudes, il a de la chance, il peut faire cuire ses œufs directement à l’endroit où les sources jaillissent. Trop pratique ! On a à nouveau droit à ses chips de tapioca, tellement bons ! On déguste nos plats perchés sur un rocher en admirant la vue. Quel beau sentiment de quiétude !
Après une longue pause digestive, il est temps de remballer nos affaires et de prendre le chemin du retour. Cette fois-ci, c’est à quatre qu’on s’enfonce dans la végétation luxuriante. Il fait chaud, humide, on grimpe, on descend, on glisse. Saïd a beau être à l’affût, pas trace d’orangs-outans. En à peine 3 heures de marche, on émerge de la jungle, directement sur la route. Mais on est encore loin du village. On suit la route, les véhicules passent à toute allure devant nous en klaxonnant. Saïd, comme toujours, marche en tête. Il se retourne soudain, lève le bras et s’exclame “orangs-outans !” On rigole, pensant qu’il blague mais en levant la tête, on aperçoit en effet, juste au-dessus de nous, au bord de la route, toute une famille d’orangs-outans. Ils sont cinq dont deux bébés de quelques mois. Nous qui pensions qu’on ne les trouvait que dans la jungle, nous voilà détrompés ! Ils mangent tranquillement les baies des arbres et font pleuvoir sur nous quantité de feuilles, branches, coques et fruits violets. L’un des bébés joue avec sa maman. On est émerveillés, Saïd lui-même n’en revient pas de la chance qu’on a d’en voir ici. On reste là, à les observer, pendant une bonne demi-heure, Rémi en aura même un torticolis (véridique !).
À l’entrée du village, on s’arrête dans un boui-boui pour boire et manger une noix de coco. Elle passe bien, très bien, surtout après l’eau immonde que notre porteur faisait bouillir mais qui avait un sale goût. On (re)découvre les chips de banane, super bons !
L’arrivée à la guesthouse est bénie ! On est dans un sale état : en sueur, de la boue partout, les chaussettes et les chaussures trempées d’être tombées dans la rivière. La douche est glacée mais bienvenue. On passe notre dernière soirée à Ketambe en compagnie de Saïd. Il nous réserve un taxi pour demain, direction Toba Lake ! Le cœur quand même lourd de partir…
“I don’t like jungle. You know why ? Because I love it” ! Merci Saïd