L’étape sportive de notre voyage, l’ascension du volcan Kerinci qui culmine à 3805 mètres. Après le Rinjani l’année dernière, nous savons combien cela peut être éprouvant de monter au sommet d’un volcan… On va être servis !
J24 – Accident sur la route
Nous nous levons à 4h15 pour prendre notre taxi partagé. Aujourd’hui, c’est le jour tant attendu de notre départ vers le parc national Kerinci Seblat, au sud de Padang. De belles aventures nous y attendent mais avant, nous devons survivre aux 9 heures de trajet qui nous attendent, soit… 350 kms !
Dans notre première voiture pour Padang, nous sommes 7. Autant dire qu’on est serrés. Enfin, sauf moi. J’ai l’immense privilège -si c’en est un- d’être assise sur le siège passager. Heureusement, nous empruntons une autre route qu’à l’aller, qui nous évite de devoir endurer les 44 lacets de l’horreur. Mais le trajet est quand même un enfer. On a hérité d’un jeune chauffeur fou et je suis aux premières loges pour assister à sa conduite folle. En le voyant monter dans la voiture, Rémi s’est exclamé “Il a le permis lui ?”. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de me poser la question… Jeune et nonchalant, il lâche le volant constamment et fait des pointes à 110 km/h !! À Sumatra ! Inconscient. Il double les scooters alors que des voitures arrivent ensemble. Ça passe, comme d’hab’.
J’ai peur, mais le réveil à 4h15 est dur et je finis quand même par m’endormir. Le chauffeur pile soudain mais j’ai l’habitude, il en faut plus pour me réveiller. Sauf que là, c’est le choc. Un choc sourd tape contre le pare-choc, devant moi. J’ai un réflexe bizarre : je me bouche les oreilles. Je ne veux surtout pas entendre le moindre son, un aboiement, un jappement, un gémissement. Rien. La voiture met un temps fou à s’arrêter, on entend et on sent que la roue traîne quelque chose et il s’élève une horrible odeur de cramé. On pense que c’est un chien et ça me retourne l’estomac mais en réalité, c’est une chèvre. Les habitants s’approchent, le chauffeur sort et on les voit devant la voiture en train de constater les dégâts. Ils extraient la pauvre bête de sous la voiture et, je ne sais par quel “miracle”, elle est encore en vie. Mais elle ne peut clairement plus marcher, elle a le bassin défoncé, ça me rend malade. Un attroupement s’est formé devant la voiture (bien amochée elle aussi). Le chauffeur arrache son pare choc, remonte dans la voiture et repart sans un mot. Une chèvre, ça coûte cher et il n’a clairement pas voulu se retrouver face au propriétaire de l’animal. Quel chauffard ! Plus tard, il est au téléphone et il en rigole même…
Fort heureusement, nous changeons de chauffeur à Padang. Avec sa voiture au 680 000 kms en parfait état, celui-ci est plus prudent et réfléchi mais il fume comme un pompier dans la voiture et la musique est à fond. Le trajet est long, ça tourne, ça tourne, ça monte. Nous faisons une pause à midi dans les fameuses cantines de bord de route où on mange tellement bien. Il pleut des trombes et des trombes d’eau pendant tout le trajet.
Nous arrivons tant bien que mal à Kersik Tuo, le village départ pour l’ascension du Kerinci. Notre guesthouse s’appelle Kerinci View Homestay mais vu le temps, on ne risque pas de voir grande chose. En plus, on nous propose une chambre avec vue… sur le couloir. “Euh… A better one?” Personne parle anglais mais on arrive à avoir une autre chambre qui donne sur le jardin. C’est mieux. Elle est austère, sent fort la peinture fraîche et y a des mouches mortes partout MAIS il y a de l’eau chaude ! Et vu les températures par ici, autant dire que ce n’est pas du luxe !
Entre deux averses, nous allons nous promener sur la route (qui fait office de village) et là, que voit-on ? Tout droit sorti des nuages, majestueux et imposant ? Le Kerinci !! Le plus haut volcan du pays qui culmine à 3 805 mètres. Ouahhhh ! Nous en restons bouche-bée. Seuls quelques nuages, tout là-haut, en cachent le sommet. Mais on s’aperçoit bien vite que ce ne sont pas des nuages mais de la fumée sortant du cratère. Eh oui, le Kerinci est un volcan actif (mais endormi) ! Si tout va bien, dans quelques jours, nous serons là-haut. On en rêve !
Contrairement à notre cher Rinjani que nous avons monté en 3 jours l’année dernière à Lombok, le Kerinci, bien que plus haut, se monte seulement en 2 jours, 1 nuit. Il nous faut encore trouver un guide et des porteurs pour nous accompagner là-haut, définir une date en fonction de la météo (attention aux pluies diluviennes) et éviter le week-end, où il y a bien trop de monde.
Le temps de prendre une ou deux photos et le voilà qui disparaît dans les nuages. Nous rentrons à la guesthouse pile au moment où le ciel nous tombe sur la tête. Nous avons droit à un repas local délicieux (nous sommes seuls) et la douche chaude est un vrai bonheur. Rien que pour ça, ça vaut le coup de payer 400 000 Rps la nuit dans cette chambre sinistre (on n’a jamais rien payé aussi cher).
J25 – De la pluie, de la pluie, de la pluie
La première chose que l’on entend en se réveillant ce matin, c’est le bruit de la pluie. Une vraie grosse pluie comme Sumatra en a le secret. À l’extérieur, le paysage est plongé dans la grisaille, les nuages sont bas. Notre randonnée est compromise.
À 10 heures, après un petit déj’ pancakes servi directement dans la chambre, nous n’avons toujours pas mis le nez dehors et il est clairement trop tard pour partir trekker. Mais la pluie s’est arrêtée. Ni une ni deux, nous empruntons un scooter, enfilons nos sexy k-way (le retour !) et nous voilà partis pour Kersik Tuo, à 16 kms de là. Sur place, impossible de trouver une agence de guide. Il faut dire que le Kerinci, c’est bien moins touristique que le Rinjani. Nous allons donc faire un tour du côté des plantations de thé qui s’étendent à perte de vue sur les flancs du volcan. Il s’agit, d’après Imam, de la plus grande plantation de thé au monde. Mais la pluie est de retour et nous oblige à rentrer avant que ça ne dégénère. Nous mangeons à la guesthouse et nous enfermons à l’abri dans la chambre tout l’après-midi.
À 18 heures, Rapani, le frère de la patronne, se présente à notre chambre. Il revient tout juste du Kerinci avec un groupe de malais et c’était “Oh my god!” Des trombes et des trombes et des trombes d’eau. La moitié du groupe n’a même pas fait l’ascension finale car il faisait trop froid et qu’il n’y avait de toute façon rien à voir… “It was excruciating”, nous dit l’un des malais le soir-même au repas. Prometteur… Rapani accepte de nous y emmener lundi ou mardi, en fonction de la météo. On n’est pas très bien équipés pour la pluie et le froid, ça promet d’être compliqué. Avec mon unique pantalon, je ne sais pas comment je vais pouvoir le garder au sec dans ce pays où rien ne sèche jamais…
J26 – De la pluie, encore de la pluie
Ce matin, lorsque je me réveille à 7h, Rémi se penche vers moi et me dit : “lève-toi, vite !” Je râle un peu, c’est qu’il ne fait pas chaud-chaud en dehors du lit ! “Il fait beau !” Voilà qui me motive. Ni une, ni deux, j’enfile mon sweat et on sort pour rejoindre la terrasse du restaurant. Elle est en hauteur, il faut monter une échelle pour y accéder et là, “whaouuuu !”. Le Kerinci dans toute sa splendeur apparaît devant nos yeux ébahis. Pas un seul nuage ne vient gâcher le spectacle. Le paysage est époustouflant.
Nous prenons le petit déj’ devant ce spectacle grandiose puis nous filons nous préparer pour notre trek de la journée. Le temps est idéal pour monter jusqu’au Danau Tujuh, le lac le plus haut d’Asie du sud-est. Il est entouré de sept sommets volcaniques que nous pourrons admirer si le ciel est dégagé.
À l’entrée du parc national, nous croisons Rapani qui vient de déposer son groupe. On s’inscrit sur le registre des rangers et on doit payer des frais d’entrée exorbitants : 450 000 Rps à deux ! En plus, c’est plus cher car c’est le week-end, pas de chance. D’après Rapani, les rangers se servent de cet argent pour construire des ponts, des abris ou faire des panneaux… Une chose est sûre, ils ne s’en servent pas pour nettoyer le site : c’est un vrai dépotoir ! Vraiment dommage.
L’ascension commence par une route de gravier encadrée de plantations : cannelle, piments. C’est après le parking que les choses sérieuses commencent. On s’enfonce dans la jungle. Pas besoin de guide, le chemin est tout tracé (suivez les déchets…). C’est un chemin de terre qui monte, monte, monte à l’aide d’un “escalier” naturel fait de troncs, de pierres et de racines.
On double quelques indonésiens qui montent camper et qui nous saluent. Base camp 1. Base camp 2. Base camp 3. On les enchaîne super vite et on s’arrête seulement pour boire. On monte les 600 mètres de dénivelé en seulement 2h.
Après 12 kms, on arrive au lac, grand, calme, beau. On voit l’autre rive mais les nuages sont trop bas pour qu’on aperçoive les volcans alentours. On décide de marcher un peu autour du lac. Un pont délabré enjambe la rivière et on entend une immense chute d’eau qui coule en contrebas.
Plein de jeunes indonésiens se sont établis en plusieurs camps un peu partout. Ils nous regardent passer et nous interpellent. “Hello sir”, “Where are you from ?” Ils nous parlent indonésien et explosent de rire. Ils ont monté des tentes et des hamacs, ont étendu leur linge, jouent de la guitare, se baignent. Les campements sont dégueus, plein de détritus, de morceaux de plastique, de sacs poubelles éventrés dans lesquels fouillent des écureuils peu farouches. C’est à la fois triste et révoltant.
Ce qui devait arriver arriva : il se met à pleuvoir. Nos sexy k-ways font leur comeback. Ce n’est pas une pluie fine, c’est une véritable averse tropicale ! Nous rebroussons vite chemin et trouvons refuge sous un abri en bois. On décide de manger ici. À peine installés, une dizaine de jeunes débarquent, s’installent à côté de nous, sortent réchaud, casseroles et cie et se lancent dans la préparation d’un nasi goreng, rien que ça ! Nous mangeons notre riz/poulet préparé par la sœur de Rapani (on commence à saturer du riz/poulet sec de la guesthouse) en les regardant cuisiner. Ils nous proposent un peu de nasi goreng.
Nous patientons un peu mais nous sommes forcés d’admettre que la pluie n’est pas prête de s’arrêter. Il va falloir redescendre…
Nous sommes gelés donc nous gardons nos pulls et enfilons par-dessus nos sexy k-ways. Seul problème : ils sont tellement larges qu’il n’est pas facile de crapahuter avec dans la jungle. Je ne vois même pas mes pieds et je suis obligée de le relever comme une robe pour ne pas y marcher dessus et voir où je pose les pieds ! Très pratique… Le temps de rejoindre le sentier dans la jungle, nous sommes trempés.
Nous nous abritons au base camp 3 le temps d’enlever nos pulls (rien ne sèche par ici et nous en aurons besoin pour le Kerinci). Puis nous entamons la descente.
C’est un enfer.
Au début, le k-way est efficace mais cela ne dure pas longtemps. En 10 mins, on se retrouve trempés de la tête aux pieds. L’eau ruisselle sur mon visage, coule dans mon cou, sous mes vêtements. C’est glacé ! Le chemin, en plus, est devenu un torrent. L’eau ravine et a créé d’énormes flaques.
Au début, on tente de sauver nos chaussures mais on se rend rapidement compte que ce ne sera pas possible. On s’enfonce alors dans les flaques avec l’eau/la boue jusqu’aux chevilles. C’est froid ! La descente est interminable. Frigorifiés, nous ne faisons aucune pause. Nous imaginons faire le Kerinci dans ces conditions, pendant deux jours, et c’est très décourageant.
Nous émergeons de la jungle, au bout du rouleau et soudain, il ne pleut plus. On ôte nos k-ways plein de boue et le temps de marcher le long de la route pendant 20 mins pour rejoindre la guesthouse, sous un soleil de plomb, nous sommes secs ! Personne ne nous croit quand on leur raconte qu’on a pris des trombes d’eau sur la tête !
Au dîner du soir, on croise des malais qui nous racontent avoir fait demi-tour 20 mins avant d’atteindre le sommet du Kerinci… Ça promet. Rapani nous rejoint après mangé et nous convenons de faire ensemble le Kerinci lundi et mardi et le tiger trek mercredi et jeudi.
J27 – Cascade et repos
On prend notre petit déj’ habituel devant le Kerinci. Rapani nous appelle : il doit rester à Padang et ne pourra pas faire l’ascension avec nous. Il nous propose un guide local qui ne parle pas anglais… Je négocie le trek de deux jours à 2 000 000 Rps (contre 2 300 000 à la base). 30€/jour/personne environ. Départ demain ! On appréhende beaucoup la météo mais, quoi qu’il en soit, on y va !
Pendant la matinée, nous déménageons pour une chambre moitié moins chère. Il s’avère qu’elle est aussi équipée de l’eau chaude. On a droit à des plaids Minnie et Superman !
Nous sautons le repas de midi. On en a sacrément marre du riz/poulet. Vers 14h, on emprunte un scoot’ et nous voilà partis pour la cascade du coin. En route, on s’arrête acheter un paquet de chips, quelques cacahuètes locales et un paquet de gâteaux. La cascade est magnifique et impressionnante. On est assaillis par des locaux qui veulent prendre des selfies avec nous.
On rentre 1h plus tard, on s’installe dans le lit, bien au chaud et on n’en bouge plus de tout l’aprem ! On a les jambes lourdes et douloureuses du trek de la veille. Alors c’est repos en prévision de celui de demain.
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Dans la nuit, un mouvement dans mes cheveux me réveille en sursaut. Je secoue la tête et une énooooorme blatte tombe de mes cheveux sur l’oreiller. Yerkkk ! Rémi l’a envoyée valser à l’autre bout de la pièce (je ne suis pas sûre qu’il ait ouvert les yeux). Et elle est tombée… dans nos bagages ! Oh joie !
J28 à J29 – Ascension du Gunung Kerinci !
Lorsque nous nous réveillons à 7h, nous écartons avec appréhension les rideaux. Le Kerinci nous réserve une belle surprise : il fait beau !! Pas un seul nuage, son sommet est clair et ensoleillé. Une journée parfaite pour entamer son ascension, on a peine à y croire. Nous prenons le petit déj’ au soleil, bouclons nos sacs et embarquons dans la voiture. Nous observons le volcan, dont le sommet à 3 805 m est incroyablement dégagé. Demain matin, aux premières lueurs du jour, si tout va bien, nous serons là-haut. “On va en chier”, me dit Rémi. J’en suis convaincue ! Nous partons de 1 800 m d’altitude. Nous avons donc 2000 m de dénivelé positif à parcourir. En tout, 7 kms pour atteindre le base camp où nous passerons la nuit et qui se situe à 3 300 m. Nous ferons les 500 m restants au petit matin pour aller admirer le lever de soleil depuis le sommet.
Nous sommes accompagnés de deux jeunes indonésiens qui ne parlent pas un mot d’anglais. Nous ne sommes pas sûrs de qui est le guide et qui est le porteur car tous les deux portent un énorme backpack. Premier constat : aucun d’eux n’est en tongs. On est déjà loin des porteurs du Rinjani qui font l’ascension en tongs et qui portent tout le matos suspendu à un bambou sur leurs épaules.
À 9h, notre chauffeur nous dépose au pied du volcan. Il nous inscrit sur le registre et paye les droits d’entrée au parc. Nous passons devant d’immenses champs de patates, de piments et de choux-fleurs avant d’arriver à l’entrée du parc national. Et de là, c’est parti !
Nous entrons directement dans la jungle. Avec tout ce qu’il a plu ces derniers jours, le chemin est détrempé. Ce n’est d’ailleurs plus un chemin, c’est une piscine de boue ! Des guides prévenants ont mis des troncs d’arbre et nous marchons en équilibre dessus. Un pied de travers et c’est le plongeon assuré !
Puis nous montons. Montons. Montons. Nous atteignons “Pos 1” à 2 010 m, puis “Pos 2” à 2 505 m. Pause à “Pos 3”. Nos porteurs posent leurs lourds sacs dès qu’ils en ont l’occasion, ils doivent faire plus de 20 kg. Nous entendons au loin les “aboiements” caractéristiques des gibbons mais impossible de les apercevoir. À part cela, c’est toujours le silence profond et apaisant de la jungle. On monte, monte, monte le long d’un sentier accidenté. Nous entrons peu à peu dans les nuages et une brume insaisissable s’installe entre les arbres. Il fait frais mais l’effort nous tient au chaud. À chaque arrêt, on grelotte.
Vers 13h, on s’arrête pour la pause déj’. Nous sommes entre “shelter 1″ et ‘shelter 2”. Il pleut… C’est le retour des sexy k-ways. Nos porteurs tendent une bâche au-dessus de nos têtes et nous mangeons à l’abri sous le martèlement des gouttes. Riz/poulet, le combo gagnant habituel. Depuis quelques jours, on s’est mis à parler pizzas, baguettes et chocolatines…
Après mangé, c’est reparti, sous la pluie. L’ascension se complique. Mon sexy k-way est trop long, il me gêne. J’y marche dessus et il devient tout boueux. La jungle a changé. Fini le vert et les arbres à perte de vue. Nous évoluons maintenant dans un sillon du volcan. Nous devons escalader, toujours plus haut. Impossible maintenant de ne pas mettre les mains par terre, il faut attraper des racines, escalader des rochers, se tenir aux arbustes, monter des échelles de racines qui semblent avoir poussé là juste pour nous et se hisser à la force des bras. Foutu k-way qui s’accroche partout ! Quand nous passons dans des gorges étroites et que le vent souffle, il se gonfle et je ne vois plus rien. Mais il me garde au sec et je dois absolument le rester sous peine de dormir trempée et de mourir de froid dans la nuit xD
Après 6h d’ascension, nous arrivons au base camp. Nous sommes sur un plateau à 3 300 m d’altitude et nous devinons la vue magnifique qui doit se cacher derrière les nuages. Notre regard pourrait porter sur toute la vallée. Mais tout n’est que grisaille. Il pleut beaucoup. Efficaces comme pas deux, nos porteurs montent nos deux tentes entre quatre poteaux sur lesquels ils ont étendu la bâche. Nous nous engouffrons dans la tente, enfilons des chaussettes sèches, un t-shirt sec et un pantalon sec et nous nous enroulons dans nos sacs de couchage. Il est 15h et nous sommes déjà frigorifiés. Ça promet pour la nuit. On a droit à un thé/café bien chauds qui nous réchauffent un peu. On lit, on joue aux petits chevaux, on grelotte. Dans l’après-midi, une brève éclaircie nous permet d’apercevoir les flancs du volcan, sans plus aucune végétation, qui s’étendent autour de nous et loin au-dessus de nous, semble-t-il. Le soleil fait une brève apparition et nous réchauffe brièvement le cœur. On aperçoit même un des versants du volcan, surmonté d’une végétation rase. Pas de tigres ni d’ours à l’horizon xD
Il est 19h et nous soupons dans la tente car le vent s’est levé et il gèle. Nous avons droit à … du riz et du poulet ! Vers 20h, on nous appelle depuis l’autre tente “Brother! Sister!” On sort la tête et “Oh!” Les nuages ont disparu, nous apercevons les lumières de la ville au loin. Nous enfilons nos vieilles chaussettes mouillées et sortons. Il fait nuit noire et le ciel est zébré d’éclairs qui semblent juste au-dessus de nous, à portée de main. Nous admirons le spectacle pendant quelques minutes. Puis c’est l’heure du pipi du soir, dans le noir et le silence le plus total, au milieu de cette immensité sans limite. J’écoute les bruits et, comme dans la jungle, je me demande quelle bête féroce est tapie juste derrière les buissons et s’apprête à me sauter dessus. J’allume la lampe frontale et balaye les environs. RAS 😅
La tente est gelée, tout comme nos sacs de couchage. Impossible de nous réchauffer, la nuit va être longue et glacée. Extinction des feux à 21h.
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La nuit a tenu toutes ses promesses. Elle a été glaciale. Mes deux paires de chaussettes n’ont pas réussi à garder mes pieds au chaud. Pendant la nuit, j’ai enfilé mon pantalon de trek humide et boueux par-dessus mon legging dans l’espoir de réchauffer mes jambes, sans succès. On est tous les deux frigorifiés dans nos sacs de couchage et le froid et l’inconfort nous réveillent toutes les heures. C’est presque un soulagement d’entendre le réveil sonner à 3h45. Presque. Car avec lui vient une terrible réalisation : ce bruit sourd qu’on entend, ce sont les trombes d’eau qui s’abattent sur la bâche. Il pleut. Qui dit pluie dit nuages. Qui dit nuages dit vue totalement bouchée. On tremble dans nos sacs de couchage et on se demande à quel moment on va trouver le courage d’en sortir pour se lancer en pleine nuit et sous des trombes d’eau à l’ascension d’un sommet dont on ne verra rien…
On a droit à un thé/café bien chauds mais qui n’arrivent pas à nous réchauffer et à un espèce de beggel froid qui a du mal à passer. “Let’s go?” nous demande notre guide depuis la tente d’en face. Mais on est incapables de bouger. À quoi bon ? On est au bord de la dépression xD On repense à hier matin, à la beauté du volcan sous le soleil matinal et nous n’en revenons pas de notre malchance. À un jour près ! Hier matin, à 500 m au-dessus de nous, des chanceux ont pu admirer le lever de soleil et le paysage. “Let’s go?” Il est 4h45. On aurait dû partir il y a 15 mins. Pris d’une subite détermination sortie de nulle part, je répond “Yes, let’s go!” Et, avant que je réalise ce que je viens de dire et que je change d’avis, je m’extrais de mon sac de couchage, j’enfile mes chaussettes de la veille, 4 couches de vêtements, je mets mes baskets détrempées et mon sexy k-way. En moins de 5 mins, je suis debout, sous la pluie, prête pour l’ascension. Et j’ai très froid.
Mais ce n’est pas dit qu’on a fait tout cela pour rien. On ne s’est pas pelé le c** toute la nuit pour renoncer si près du but. On ne verra rien mais on ira au sommet du plus haut volcan d’Indonésie.
5 mins après le départ, je n’ai toujours pas chaud, mais je n’ai plus froid. C’est dire que ça monte raide. Il s’est miraculeusement arrêté de pleuvoir. Les alentours sont plongés dans l’obscurité la plus totale. Ma lampe frontale éclaire un tout petit cercle lumineux juste devant moi et je suis les chaussures de Rémi, qui suit celles de notre guide. Lorsque je lève la tête, le faisceau se perd à 10 m dans la brume. L’ambiance est très impressionnante et intimidante. C’est comme dans un film. J’entend uniquement mon souffle court qui résonne à mes oreilles. Et les quelques gouttes de pluie qui tapent contre ma capuche. Mes mains sont pleines de boue car il faut escalader des passages abrupts et étroits à la roche volcanique coupante. Dans les sillons du volcan et les rigoles profondes laissées par les coulées de lave, c’est le calme plat. Mais dès qu’on en sort, sur la crête, le vent souffle très fort, fait voler mon k-way dans tous les sens et m’envoie des rafales de gouttes d’eau glacées au visage. Il n’y a plus aucune végétation, juste un terrain carbonisé fait de roches volcaniques.
Tout à coup, je me retourne et éteins ma lampe frontale. À travers la brume, je le vois : le jour qui se lève. C’est une lumière ténue, comme celle qui filtre à travers un volet fermé, presque imperceptible. Mais quand mes yeux s’habituent à l’obscurité, je discerne des formes à quelques mètres : des rochers, des saillies rocheuses, le contour d’une pente, un vide. Le volcan se révèle tout doucement et c’est un paysage désolant, gris, terne. Le vent souffle sans discontinuité, balayant le versant sur lequel nous nous trouvons.
On croise des mémoriaux… Je ne sais pas comment notre guide fait pour se repérer, il n’y a pas de chemin, tout se ressemble. Mais nous montons toujours, donc c’est forcément la bonne direction ! Puis on la sent : cette odeur d’œuf pourri qu’on commence à bien connaître. Le souffre. On met notre k-way devant le nez et la bouche car plus on monte, plus l’air est irrespirable. Il pique la gorge et les yeux. On tousse. On s’arrête pour reprendre notre souffle car, dans l’effort, l’air nous manque. L’obscurité, le bruit sourd du vent, la pluie, l’air irrespirable, la présente menaçante du volcan tout près. Cela devient très angoissant et j’ai soudain très envie de faire demi-tour. “Puncak?” demande Rémi (prononcer “puntchak”). “5 mins” répond le guide. On peut le faire. Il est juste là ! Pas question de rebrousser chemin si près du but.
Notre guide n’a pas menti. 5 minutes plus tard, il se retourne et nous crie “Puncak!” Et en effet, soudain, on ne peut plus aller plus haut. Je ne me sens pas euphorique, comme je l’ai été l’an dernier en atteignant le sommet du Rinjani (dont l’ascension finale est 1 000 fois plus dure, malgré les conditions parfaites qu’on a eues, mais aussi beaucoup moins angoissante). Je suis plutôt blasée. On ne voit rien. Du tout. Du côté du versant, on n’y voit pas à 20 m. On discerne la pente, les nuages et la poussière qui passent, le vent qui balaye le paysage grisâtre. Du côté du cratère, c’est une mer de nuages et de brume. Pas de cratère impressionnant, pas de lave au fond. Grosse, très grosse déception. Encore plus quand on se rend compte que notre guide n’a pas emmené la plaque du sommet “Kerinci – 3 805 m” avec laquelle on est censés prendre la photo de notre victoire…
Mais on l’a fait ! On est au sommet du plus haut volcan d’Indonésie et on est très fiers.
Bon ben maintenant, faut redescendre ! La descente jusqu’au campement est pénible. Il pleut beaucoup, il fait très froid et les roches volcaniques roulent sous nos pieds. Dès qu’on arrive au camp, on se déshabille et on s’engouffre dans la tente et dans les sacs de couchage. On a droit à un thé brûlant qui fait du bien et à un petit déj’ assez inédit : des spaghettis ! Il est 8h, on y touche à peine. À 9h, j’en ai tellement marre de me peler le c** que je veux en finir au plus vite. Je passe la tête par la tente et je dis “Let’s go?”
En 30 mins, le camp est plié. Nos porteurs planquent leur matos dans les fourrés et jettent les déchets… dans les fourrés aussi ! 😠 On est révoltés !
On descend en 4 heures sous une pluie battante qui ne nous donne aucun répit. On est littéralement trempés jusqu’aux os. Je dois même souffler sur mon nez pour enlever les gouttes d’eau qui y coulent ! Le k-way est un véritable fardeau, je ne vois pas où je mets les pieds et autant dire que dans une descente aussi abrupte, ce n’est pas très safe. Les genoux souffrent, la prudence s’impose. Je finis par enlever mon k-way. Mouillée pour mouillée… Lors d’une pause, on croise un couple avec leurs propres porteurs qui prennent le thé à leur campement. On discute avec eux et on apprend qu’ils ont rebroussé chemin à quelques mètres du sommet parce qu’il a fait une crise de panique…
La descente est plutôt interminable, on a peine à croire qu’on a monté tout ça la veille. C’est un vrai soulagement d’arriver enfin en bas et de voir la voiture qui nous attend. Nous sommes épuisés. À la fois déçus mais fiers d’y être arrivé. Et heureux à la perspective de la douche bien chaude qui nous attend. On l’apprécie d’ailleurs beaucoup et on la prend chaude, très chaude. On en profite pour rincer nos affaires puis on s’affale sur le lit et on s’endort directement. Il est 17h.
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C’est avec regret -mais pas trop- qu’on abandonne l’idée du tiger trek que l’on devait faire sur deux jours avec Rapani. L’expérience du Kerinci est bien trop fraîche pour qu’on ait le courage de remettre ça pour un nouveau trek de deux jours sous la pluie et une nuit glaciale.
Rapani nous explique plus tard que les mémoriaux que nous avons croisés près du sommet sont deux personnes qui sont tombées dans le cratère en 1983 puis 1990. En tout, 8 personnes sont tombées dedans. Il a également eu un client qui s’est cassé la jambe dans la descente. Lui et son groupe ont dû le porter jusqu’en bas ! Le Kerinci est “nettoyé” tous les ans. Il y a sur ses flancs entre 2 et 3 tonnes de déchets… Comme partout, la gestion des déchets est un “big problem”. Nos deux porteurs en ont été la preuve.
J30 – Toujours de la pluie mais une pizza !
C’est Rapani qui joue les chauffeurs pour nous ramener à Padang. On part finalement un peu plus tôt que prévu à cause du froid et de la pluie. On n’en peut plus. On veut la plage, les cocotiers, le soleil, la chaaaaleur ! Il faut 7h de route pour rejoindre Padang, en bord de mer, la 2ème ville de Sumatra. Padang, c’est la mer, le soleil, la chaleur… Ah non, il pleut. Mais vraiment. Une pluie tropicale drue qui fait un bruit d’enfer. Elle ne gêne strictement personne. Les voitures aspergent copieusement tous les piétons qui marchent tranquillement dans des flaques d’eau arrivant aux chevilles. De toute façon, ils sont en tong.
Rapani nous laisse dans notre auberge de jeunesse. Le temps de traverser la rue, on est trempés. Et c’est reparti ! La saison des pluies, quelle idée ! Néanmoins ici, l’air est lourd et chaud, on sent qu’on a quitté les montagnes. Il pleut mais il ne fait plus froid. On a choisi une auberge de jeunesse ambiancée pour notre unique nuit de transition à Padang. La musique peine à se faire entendre face au boucan que fait la pluie. Le mur de notre chambre est fait de bouteilles de bière. Le lit est… indescriptible, cela fait tellement plaisir de retrouver un vrai lit, confortable, chaud, propre, sans blattes. Et la salle de bain ? A-t-on déjà vu une salle de bain si propre, si brillante ? On se sent bien.
Ce soir, on mange au restau de l’auberge et on commande des… PIZZAAAAAS !! On en a tellement rêvé ! En plus, elles sont trop bonnes. On en profite parce que dès demain, on va retrouver notre régime à base de riz et poulet.
Après nos aventures au Kerinci, nous partons pour un repos bien mérité dans un petit coin de paradis.