Expédition sur la Dalton Highway, 666 kilomètres de piste, cercle polaire Arctique et baignade dans l’océan Arctique. Mais surtout, le point le plus au Nord de la route panaméricaine. À ce stade-là, la boucle est bouclée, non ? On t’emmène une deuxième et dernière fois jusqu’à l’extrême Nord du continent américain.
Dimanche 11 août 2024
Côté canadien, il y a la Dempster Highway. Tu te rappelles ? 800 kilomètres de piste à travers le Yukon, puis les Territoires du Nord-Ouest, jusqu’au petit village de Tuktoyaktuk, au bord de l’océan Arctique. Nous avions parcouru la Dempster Highway en juillet 2022, lors de notre première venue dans le Grand Nord. Le cercle Arctique, le soleil de minuit, une Nature vaste et hostile comme nous n’en avions jamais vue, une route qui paraît sans fin. On garde de notre expédition sur la Dempster un souvenir impérissable, alors que nous venions tout juste de prendre la route et que nous avions encore tout à découvrir. Et même si nous n’avions pas vraiment vu l’océan à cause du mauvais temps, la Dempster reste un des moments les plus forts de notre voyage à travers les Amériques.
Deux ans et un mois plus tard, nous sommes riches d’aventures à n’en plus finir, d’expériences hors du commun et de souvenirs précieux après avoir parcouru le continent américain du Nord au Sud. Il y a quatre mois, nous atteignions Ushuaia et le point le plus au Sud du monde accessible par la route. Nous nous baignions aux portes de l’océan Antarctique ! Aujourd’hui, nous voulons boucler la boucle. Plonger dans l’océan Arctique, rouler jusqu’au point le plus au Nord de la panaméricaine, plus au Nord encore que Tuktoyaktuk. Et pour cela, nous nous lançons sur la Dalton Highway, l’équivalent de la Dempster, mais côté États-Unis. 800 kilomètres de piste sauvage, mal entretenue, isolée du reste du monde, sans réseau ni services d’urgence à travers la forêt boréale, les montagnes et la toundra, jusqu’au Graal : l’océan Arctique.
Ce dimanche, en fin d’après-midi, nous sommes prêts à affronter la Dalton Highway. Nous avons de l’eau, de la nourriture et surtout de l’essence, dont 40 litres supplémentaires sur le toit. Déjà, à la dernière station-service avant le début de la piste, on a un aperçu de ce qui nous attend ces prochains jours : d’énormes trucks américains ! Imposants, bruyants, recouverts de poussière. On redoute ces énormes camions, fléaux de tous les voyageurs, qui roulent à vive allure et menacent à chaque croisement d’exploser les pare-brise. Ils sont nombreux à parcourir la Dalton Highway, car ils alimentent en essence et en matériaux le champ pétrolifère de Prudhoe Bay, posé au bord de l’océan.
Depuis Fairbanks, pour atteindre le point de départ de la Dalton Highway à Livengood, c’est un périple avant le périple ! En effet, des travaux jalonnent la route sur des kilomètres. On roule en convoi, au rythme de la voiture pilote. Ce n’est finalement qu’à 19 heures que nous atteignons enfin le point de départ de la Dalton. La route devient une piste boueuse et étroite qui serpente à travers la forêt. Les bas-côtés sont soft et abrupts, la chaussée glissante, les camions qui arrivent en face nous obligent à nous tasser prudemment sur le côté. Le stress monte et les premiers kilomètres se font dans une ambiance un peu tendue.
Puis, petit à petit, on se détend et on apprend à profiter du paysage. Comme il est tard, la faune est active et on croise un ours noir et un gros porc-épic, très occupé à manger des baies.
À cause des travaux, on galère à trouver un endroit où passer la nuit. Tous les bivouacs potentiels sont encombrés d’équipements de chantier. On roule finalement 100 kilomètres jusqu’à un camping gratuit. On s’installe au milieu d’autres voyageurs… et des moustiques ! Il y en a des dizaines autour de nous, mais heureusement, ils ne sont pas très vifs, probablement ramollis par la fin de l’été qui approche et le froid qui s’installe. Au menu de ce soir : pan con tomate, tartare de saumon et frites maison ! 😋
Lundi 12 août
Il a plu sans discontinuer toute la nuit. Au matin, le soleil est de retour pour nous réchauffer et nous sécher tandis que l’on cuisine un copieux petit-déjeuner. On prend le temps, et ce n’est qu’à 11 heures que l’on prend enfin la route.
On rebrousse chemin de quelques kilomètres pour retourner au point de vue sur la Yukon River, que nous avons enjambée sous la pluie hier soir. C’est aussi l’occasion d’observer de plus près l’oléoduc Trans-Alaska, qui va nous suivre tout au long de notre périple sur la Dalton Highway. Il est en effet la raison d’être de cette piste ! Depuis sa mise en service en 1977, il permet d’acheminer le pétrole depuis les champs pétrolifères de Prudhoe Bay, au bord de l’océan Arctique, jusqu’à Valdez, un port au Sud de l’Alaska ! Il traverse ainsi tout l’État sur 1 288 kilomètres ! Malgré l’abondance du pétrole dans la région, à la pompe, la réalité est toute autre : 7,49 $ le gallon (1,78 € le litre), soit l’essence la plus chère de tout le voyage !
Ensuite, on y go pour de bon ! L’océan Arctique est encore loin.
Dans l’après-midi, nous franchissons pour la deuxième fois de notre vie le cercle polaire Arctique !
La Dalton Highway nous emmène toujours plus loin dans le Grand Nord, à travers des paysages magnifiques. La forêt boréale nous accompagne, tout comme le pipeline qui n’en finit pas de s’étirer à l’horizon. On rencontre aussi quelques animaux. Les orignaux sont facilement repérables quand ils viennent se nourrir dans les lacs. Tout comme les ours noirs qui se promènent dans les plaines.
Mais une déconvenue nous attend. Alors qu’on observe tranquillement, depuis la route, un ours noir qui se promène sur une colline, on aperçoit un homme, à quelques mètres de lui, agenouillé derrière un fourré. Au début, on pense qu’il s’agit d’un photographe un peu téméraire et pas très respectueux. Mais en regardant plus attentivement avec les jumelles, on s’aperçoit que pas du tout, c’est un chasseur. Il tient une arbalète dans une main et se faufile discrètement de buisson en buisson pour approcher l’ours. On est glacés d’effroi ! Vite, on s’en va. Il nous est impossible d’assister à pareil spectacle. C’est donc un peu remués que l’on reprend la route après ce triste épisode. Et malheureusement, il ne sera pas le seul. La période de la chasse est clairement ouverte et des chasseurs sur la Dalton, nous allons malheureusement en croiser beaucoup.
En fin d’après-midi, les paysages se font plus montagneux. On approche en effet de la chaîne Brooks, une vaste chaîne de montagnes qui marque la limite entre la forêt boréale au Sud et la toundra au Nord. Des nuages menaçants se rassemblent autour des sommets. On décide donc de s’arrêter ici et de trouver un camp au bord de la rivière.
On trouve l’endroit parfait, au bord de la rivière, suffisamment éloigné de la route pour être tranquille et face à une vue magnifique.
En se promenant dans le lit de la rivière, on aperçoit d’énormes empreintes de loups, puis d’ours ! On passe donc la soirée à espérer voir passer tout ce beau monde devant nous, mais on ne reçoit la visite que d’un joli lapin. Dommage !
Mardi 13 août
À nouveau, ce n’est qu’à 11 heures que l’on prend la route, après un copieux petit-déjeuner pris sous la pluie. On s’élance en direction des Brooks Mountains. Et au pied des montagnes, nous sommes accueillis par… des travaux ! On attend 30 minutes la voiture pilote, puis on s’élance derrière elle. On ne voit malheureusement pas grand chose des montagnes, car c’est sous les nuages que l’on franchit le col Atigun.
Et de l’autre côté des montagnes… c’est la toundra qui nous accueille. Elle s’étend de la chaine Brooks jusqu’à l’océan Arctique ! C’est ici que l’on aperçoit nos premiers caribous… poursuivis par quelques chasseurs. Et aussi un premier bœuf musqué qui se promène en bord de route. Sa fourrure dense et chaude lui permet de survivre à l’hiver polaire. Il a été réintroduit en Alaska après avoir été proche de l’extinction au XXe siècle à cause de la chasse.
Nous sommes à nouveau arrêtés par des travaux. Encore une fois, on patiente 30 minutes jusqu’à l’arrivée de la voiture pilote, puis on parcourt les 20 kilomètres suivants en convoi, dans la poussière des camions qui nous précèdent. Décidemment, il y a beaucoup de travaux sur la Dalton ! Toute cette activité humaine rend l’expérience moins sauvage que ce que l’on pensait. Sans parler de l’omniprésence des chasseurs autour de nous. On n’ose même plus s’arrêter pour observer la faune de peur d’attirer l’attention de ces hommes en tenue camouflage qui roulent au pas, jumelles à la main.
50 kilomètres avant la fin de la route, la piste sableuse laisse tout à coup place à une route bitumée digne des plus belles routes des États-Unis. Alors ça, on ne s’y attendait pas !
On enchaine donc les derniers kilomètres très rapidement. À 10 kilomètres de Deadhorse, nous nous arrêtons au bord de la rivière pour passer la nuit. Par chance, le vent est tombé. On est cependant cernés par les énormes moustiques alaskiens, qui heureusement sont assez amorphes à cette période de l’année !
Mercredi 14 août
Après 10 kilomètres sur une belle route asphaltée, nous y voilà. Nous entrons à Deadhorse, village du bout du monde qui marque la fin de la Dalton Highway. Notre arrivée à Deadhorse marque aussi et surtout notre arrivée au point le plus au Nord de la route panaméricaine, celle-là même que nous avons suivie jusqu’à son point le plus au Sud à travers 16 pays et plus de 100 000 kilomètres !
Mais l’aventure n’est pas finie. L’océan Arctique est à portée de main, mais pourtant inaccessible. En effet, son accès n’est pas public. Oui, oui, tu as bien lu. Pour accéder à l’océan Arctique, il faut passer par Prudhoe Bay : un immense champ pétrolifère appartenant à des acteurs privés. L’accès vers l’océan est donc restreint et très encadré. Pour s’y rendre, nous devons prendre un bus touristique, qui coûte 90 $ par personne. Il y en a deux par jour. On monte dans le bus de 8 heures, qui traverse Deadhorse, puis on fait une halte de 15 minutes à l’entrée de Prudhoe Bay, pendant laquelle tous les visiteurs et leurs passeports sont enregistrés. On entre ensuite dans l’enceinte du champ pétrolifère de Prudhoe Bay.
Même si la production est en baisse (300 000 barils de pétrole par jour vs 2 000 000 de barils par jour à son apogée), le champ pétrolifère de Prudhoe Bay reste le plus grand gisement pétrolier du pays. En 1968, sa mise en exploitation a nécessité un gigantesque investissement, avec notamment la construction de l’oléoduc trans-Alaska qui achemine le pétrole vers le port de Valdez sur 1 300 kilomètres. L’endroit est immense. 2 000 personnes travaillent à Prudhoe Bay en été et jusqu’à 3 000 en hiver ! Les travailleurs effectuent des missions de 3 semaines et sont acheminés par les airs. Nous sommes impressionnés de voir toutes ces installations, toute cette effervescence, tout ce monde dans un lieu qui semble pourtant si isolé du reste du monde. Voir ce dont l’Homme est capable d’accomplir pour exploiter l’or noir, même dans les endroits les plus hostiles et les reculés de la planète, est à la fois fascinant et terrifiant.
Mais nous ne sommes pas là pour nous apitoyer sur la capacité de l’Homme à détruire son environnement. Le bus nous dépose devant une belle plage de sable, de galets et de bois flotté. Face à nous, l’océan Arctique s’étend à perte de vue. C’est la deuxième fois que nous y venons, mais l’émotion est toujours au rendez-vous.
Jack le guide nous avertit de ne pas nous éloigner de la zone de baignade : en dehors de cette zone, des déchets rendent l’endroit dangereux. Ceci étant dit, il enlève ses vêtements, se jette à l’eau et fait quelques brasses. Nous aussi, nous avons la ferme intention de nous baigner. Il y a deux ans, il faisait bien trop froid pour se baigner. Mais aujourd’hui pas d’excuse : il fait 14°C, il n’y a ni vent, ni pluie. Et on est bien décidés à plonger dans l’océan Arctique, 4 mois après avoir nagé aux portes de l’océan Antarctique. Ne pas réfléchir, sinon on pourrait renoncer. On se déshabille et on se jette sans hésitation (ou presque) dans l’eau fraîche de l’océan Arctique : 7°C ! 🥶
Après cette baignade rafraichissante, le bus nous ramène à Deadhorse. Deadhorse n’est pas vraiment un village à proprement parler. Sa seule fonction est de soutenir les activités de Prudhoe Bay en fournissant de la logistique et des logements aux travailleurs sous forme de bâtiments préfabriqués. On y trouve un dépanneur, où on achète un sticker pour immortaliser notre venue dans l’Arctique. On découvre avec stupéfaction toute l’organisation et la logistique derrière l’exploitation du gisement pétrolier… ce qui n’empêche pas à la Nature de réclamer ses droits primaires sur cet espace envahi par l’Homme.
À la station-service, on se retrouve bloqués par un immense convoi. Toute une station est déménagée à l’aide de trucks gigantesques. Only in Prudhoe Bay 😅
Jeudi 15 août au samedi 17 août
Maintenant que nous avons atteint le point le plus au Nord de notre route et nagé dans l’océan Arctique… et bien, il faut faire la route en sens inverse pour rentrer jusqu’à Fairbanks ! 😆 Soit 800 kilomètres de piste à travers la toundra…
les montagnes…
la forêt boréale…
Les camions et les poussière… L’un d’eux nous vaut d’ailleurs deux gros impacts sur le pare-brise 😤.
Les travaux et la boue…
Après 3 jours de piste, nous arrivons finalement à Fairbanks, couverts de boue et de crasse. C’est ainsi que s’achève notre aventure dans le Grand Nord de l’Alaska sur la Dalton Highway. En conclusion, on peut dire que le Grand Nord nous fascine toujours autant, avec ses vastes étendues de toundra, son immensité, ses paysages incroyables, sa Nature hostile et ses animaux sauvages. Nous sommes heureux et fiers de pouvoir ajouter une nouvelle expérience à notre grand voyage : la baignade dans l’océan Arctique ! Et comme toujours depuis 2 ans, toute belle aventure se termine au carwash !
Maintenant, pour ce qui est de savoir laquelle des deux routes mythiques vers l’océan Arctique nous avons préféré, il n’y a pas match : notre cœur reste sur la Dempster Highway. La Dalton est bien moins sauvage et c’est, selon nous, ce qui fait tout le charme de ces routes de l’extrême. La multiplication des travaux, la présence répétée de convois, de travailleurs et de tous leurs équipements en bord de route. Les portions de route bitumée qui, si elles sont plaisantes à rouler, donnent parfois l’impression de parcourir une route de campagne plutôt que de faire une expédition vers le Grand Nord. Les nombreux points Wifi sur la route qui permettent de rester connecté, même au bout du monde. La présence de très nombreux camions. L’omniprésence des chasseurs, à cette époque de l’année, qui a quelque peu refroidi notre désir d’admirer la vie sauvage. Et surtout le grand final à Prudhoe Bay, où règnent en maître l’industrialisation, l’exploitation de la Nature, la destruction de l’environnement là où la Nature sauvage devrait avoir toute sa place. Et bien sûr le fait qu’il soit impossible d’accéder librement à l’océan Arctique et le prix exorbitant qui en découle : 90 $ par personne ! Comment ne pas préférer notre excursion à Tuktoyaktuk, côté canadien, un paisible village de pêcheurs ?
15 mai 2022, on quitte Montréal. 11 juillet 2022, on atteint l’océan Arctique par la Dempster Highway à Tuktoyaktuk, Canada. 02 avril 2024, on arrive à Ushuaia et on nage dans l’océan Antarctique. 14 août 2024, on atteint l’océan Arctique par la Dalton Highway à Prudhoe Bay, États-Unis. Après ça, je pense que l’on est prêts à rentrer à la maison 😊 Mais avant, nous partons pour une expérience beaucoup plus détente qu’une expédition vers l’Arctique : une baignade dans… des sources chaudes ! Cela devrait être plus facile de se mettre à l’eau 😂
5 comments
Bel article !!
Ces pipelines sont impressionnants, quelle ingénierie humaine….
Quant aux chasseurs, il fallait éternuer, faire du bruit pour avertir les animaux…. Les bisons sont ÉNORMES 💚
Tous ces travaux me rappellent le périple au Pérou pour arriver jusqu’au Machu Picchu, attendre des heures avant de pouvoir passer. Pfff quelle galère !!!
Quel frileux bonheur ce bain dans l’océan Arctique. Bravo pour le courage de se jeter à l’eau. Vu le prix du trajet, il ne fallait pas passer à côté 😜
c’est en voyant ces photos que l’on se rend compte de toute cette industrialisation qu’il faut pour avoir du carburant !!
Chasse à l’ours : c’est pour manger ???? Pauvres bêtes…
A combien était la température de l’eau ?
Bisous.
Mamie
Oui, ils chassent l’ours pour le manger … Y a des quotas mais c’est quand même triste. L’eau était à 7° 😀 Il paraît que c’est bon pour la santé !
Le.contraste des animaux aumilieu des pipelines est étonnant ! Avez.cous ramassé un bout de bois flotté pour Nathalie ? 😂
Évidemment ahah !